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Anthropologie
Du Savoir Dans Le Monde Arabo-Musulman" Docteur Rita El Khayat
Médecin Psychiatre Anthropologue / (Maroc)
E.mail : ritainielkhayat@marocnet.net.ma |
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«
Tout comme les Iraniens avaient envahi, chargés d'achats effectués en Europe
ou aux Etats- Unis, le point de rencontre de leur vol, à Heathrow, Londres,
l'aéroport de Téhéran était mutuellement plein de travailleurs émigrés
pakistanais qui, eux, avaient fait leurs courses en Iran. lis ployaient sous
les boites, les malles, les grandes valises de carton attachées par des
ficelles, de grands emballages bruns portant les noms les plus fameux, Aiwa,
Akaï, Toshiba, National, ces marques du nouveau bazar universel ou les
marchandises ne paraissaient plus dépendre d'une culture, d'une volonté ou
d'une civilisation particulières mais n'étaient que des produits issus des
richesses naturelles du monde. » V.S. NAIPAUL: Crépuscule
sur l'Islam ( Voyage au pays des croyants ) Ed. Albin Michel, Paris, 1981.
Edition originale: Among the believers ( An Islamic Journey ) Andre
Deutsch Ltd, London. Cette phrase de
Naipaul est d'autant plus intéressante pour ces propos que l'auteur est un
Indien né et élevé en Amérique Latine, à Trinidad Y Tobago, et qu'il vit et
écrit en Angleterre... Il est indien d'origine comme Salmane Rushdie qui,
lui, est musulman à l'origine, mais semble plutôt de religion hindouiste. On
aura l'occasion de revenir sur ces écrivains comme émergence de mondes
culturels si différents et si semblables. Si l'on doit
réellement exploiter l'article de G.Bibeau: « Cultural psychiatry in a
creolizing world: questions for a new research agenda. », il faudra mettre à l'épreuve tous les concepts qu'il avance dans le
domaine de l'anthropologie en général et de la psychiatrie culturelle en
particulier dans ces autres mondes, sociétés et cultures différentes éloignés
à tous points de vue des matrices conceptuelles de l'Europe et du bloc nord
américain. Considérations générales. En tant que
psychiatre exerçant au Maroc et ayant été formée en France à
l'ethnopsychiatrie et à l'anthropologie, je n'ai pas pu développer mes
connaissances avant de soumettre ces sciences à un certain nombre de
questionnements dont la plupart sont encore sans réponses: le plus taraudant
est celui du transfert des Sciences et des Techniques de l'Occident vers le monde
arabo-musulman, travail présenté à Paris en 1979 et resté sans suite car les
recherches en France sont centripètes et rarement centrifuges d'autant plus
qu' actuellement il serait normal que ce monde et le reste du tiers-monde
commencent à élaborer une pensée intrinsèque sur eux-mêmes alors que leurs
penseurs ne produisent réellement qu'une fois « déportés » en Occident. Je suis
persuadée que l'on pourrait arriver dans le tiers- monde (il n'y a
malheureusement aucune autre manière de parier de tout le reste du monde qui
n'est ni occidental ni ex-communiste) à conceptualiser et à produire
intellectuellement ce qui est lui est nécessaire pour son accession à ses
potentialités. A mon avis les définitions économico politiques du tiers-monde
ont échoué à le définir et à le faire progresser ; ce ne pourra être que
l'approche anthropologique qui y parviendra... Mais qu'en
est-il du Monde de l'Islam par opposition au monde musulman, appellation qui
l'homogénéise faussement? Le cinquième de l'humanité numériquement est
musulman et les musulmans sont implantés sur les cinq continents de façon non
homogène: des pays intervient ici le concept politique de nations- sont
totalement musulmans; des musulmans sont ailleurs des minorités avec toutes
les spécificités des minorités, parfois dispersés en diasporas éloignées ou
encore en « poches » de populations comme en Chine ou en ex-Yougoslavie,
parfois en agglomérats fictifs de populations reliées par l'islam seulement
comme c'est le cas des Black Muslims, monde islamique de revendication d'un
type nouveau créant un groupe ethnico- religieux qui, auparavant, se
définissait par sa seule négritude. Cette
dys-continuité ethnique diversifie à l'infini les problèmes socioculturels et
anthropologiques des musulmans créant des dys-continuités dans les concepts
mis en place pour aborder l'ensemble des sujets d'étude s'offrant aux
anthropologues et aux psychiatres à vocation culturelle. L'outil
anthropologique est remarquable surtout eu égard aux caractéristiques actuelles
du monde musulman et cela n'est pas une contradiction comme on le démontrera
plus tard. En fait cette relecture de l'article de Gilles Bibeau me place
dans une donnée anthropologique qui reste intégralement à définir ou à
inventer: celle de l'anthropologue dans « l'entre-deux », dans l'interface,
recevant cette science d'une culture extérieure à la sienne dans laquelle il
travaille et a à l'utiliser. Le problème n'est pas tant de s'en servir comme
outil de travail que de le rendre efficace et homogène au milieu d'«
importation ». Et là est la difficulté. Cela va nous amener à remonter dans
le temps. En effet dans l'« entre-deux » vivaient, il n'y a pas si longtemps,
l'Ethnologue, observateur d'un peuple, l'Ethnos, dont il ne faisait pas
partie culturellement, linguistiquement, religieusement et historiquement.
Ainsi Margaret Mead en Océanie, Georges Devereux chez les Indiens des Plaines
aux Etats- Unis ou chez les Sedang Moï de Malaisie, Lévi-Strauss en Amazonie,
Pierre Verger au Brésil et au Bénin, Ruth Bénédict en Inde, tous ces
spécialistes et bien d'autres illustrent la concomitance du phénomène
ethnologique comme relié à celui de la colonisation, domination violente ou
symbolique d'un peuple par un autre. M. Mead a
étudié les mœurs sexuelles en Océanie au début de ce siècle car la puissance
technologique et intellectuelle de son propre peuple lui permettait de se
porter vers d'autres cultures et d'autres civilisations alors qu'une
insulaire d'Océanie n’aurait jamais pu faire le voyage et la démarche inverses aux mêmes époques. On ne
parlera pas de la femme musulmane aux mêmes moments parce qu'elle était
encore en dehors de toute historicité. C'est pour cela
que l'Ethnologie et les sciences dérivées ou annexes paraissent liées à un
moment historique de l'humanité, celui de la colonisation, phénomène unique
de l'histoire récente par son ampleur: au début du vingtième siècle l'Europe
investissait tout le reste du monde connu de façons différentes seulement
dans la nature de l'occupation tandis que le bloc américano-canadien
construisait une « puissance » spirituelle et matérielle qui avait fait
l'économie de l'investissement effectif hégémonique des territoires de
peuples à conquérir. En réalité les choses sont plus complexes encore. En
fait l'Europe s'était emparée depuis cinq siècles de l'Amérique « latine »,
avait essayé de conquérir les Etats-Unis et le Canada en les laissant dans
son sillage mais ce sont les populations originaires de l'Europe qui seront
les « White » aux prises avec les indigènes do l'Amériques du Nord et puis
plus tard avec les « Black » issus du commerce des esclaves. Plus tard
l'Europe partait vers l'Asie, l'Afrique et l'Australie ou elle reproduisit à
peu près le même système qu'en Amérique. Il ne faut pas oublier que les
Philippines portent le nom d'un roi espagnol dans les temps glorieux ou
l'Espagne voguait sur toutes les mers connues... Les musulmans à ces époques
avaient été arrêtés dans leurs conquêtes et formaient un espace clos qui
serait balayé par les incursions coloniales. L'anthropologie
historique est indispensable pour, un jour, rassembler les êtres humains
autour de l'idée des vagues migratoires, des conquêtes, des guerres, des «
pacifications », pour qu'advienne un autre type de relations entre les peuples
dépassant le racisme, la xénophobie et les conflits idéologiques ou sanglants
car, de nos jours encore, les instincts guerriers et de violence n'ont pas
disparu comme s'ils faisaient partie intrinsèque de la qualité même d'humain.
C'est ainsi que
les peuples ont quand même cherché à évoluer vers d'autres types
d'organisation politique après la décolonisation massive des entités sous
domination coloniale. C'est la première fois dans l'histoire humaine
également que des conquérants acceptent de quitter des territoires soumis par
la force dans les périodes contemporaines alors que ce n'était pas le cas,
autrefois, à la suite de pressions internationales organisées et du principe
d'accélération de l'histoire humaine telle que nous la vivons maintenant. A mon
avis et en tant que personne née sous domination coloniale, l'Ethnologie fait
partie d'une époque révolue et il semble impossible d'être ethnologue dans sa
propre culture alors que l'on peut tout à fait y être sociologue ou anthropologue. L'ethnologie est née en
même temps que la colonisation et elle lui était essentielle pour te
comprendre et gérer les populations dominées de même que les écoles de
langues orientales ou autres; le ressentiment du chercheur vis-à-vis de la
colonisation et de ce qu'elle a engagé dans son peuple et sa propre personne
est trop récent pour que l'on puisse parler d'égalité réelle dans les
relations entre les « mondes scientifiques ». Il y a la parole absente des
tiers-mondistes dans le domaine de toutes les recherches scientifiques qui a
laissé la place à d'autres formes d'expression comme si la sphère
intellectuelle leur étant barrée il ne restait que les passages à l'acte
accessibles à d'autres individus non inhibés dans les comportements. C'est le
problème de toute la création intellectuelle et scientifique dans le
tiers-monde depuis l'autonomisation des peuples anciennement sous domination
coloniale. Cela renvoie à
l'assertion de G.Bibeau essentielle à ce niveau de développement: les
personnes vivent dans des socio cultures dominées de façon croissante par des
experts, des gestionnaires et une nouvelle économie du savoir basée sur un
degré élevé d'instruction fonctionnelle ». Cela mérite approfondissement car
cette loi est fondamentale tant par rapport à ce qui précède que par rapport
à ce monde de l'islam pris comme objet d'étude: 1-
est-ce le cas de toutes
les socio-cultures existant actuellement? 2-
le savoir est-il devenu
une « denrée universelle »? 3-
le savoir est-il désigné
ici comme liée à l'alphabétisation? 4-
le savoir s'il suppose
des experts, des directeurs, une gestion de sa fonctionnalité, est donc
capital pour l'homme actuel.
Ces questions nous amènent à penser que le Savoir est divers et que,
intrinsèquement, il est une ramification de tous les savoirs. Il est de
surcroît et surtout un pouvoir que seuls quelques-uns détiennent. Ainsi il y
aura deux sortes de dominés: tous les analphabètes du monde en nombre très
considérable dans le tiers- monde mais également les sous- ou mal- instruits dans
le monde avancé qui seront des exclus au même titre que les sous-développés.
Ainsi une prémisse de résolution de questionnement est dans l'idée vectrice
de Bibeau; Cependant pour nous qui travaillons et observons dans le
tiers-monde mais restons ombiliqués par notre savoir justement au monde
occidental, les savoirs paraissent multiples mais nous serons obligés de les
cliver en deux: 1-
tous les savoirs qui sont
d'ordre scientifique pur, sciences et leurs applications techniques. 2-
tous les autres savoirs (littérature,
arts, traditions et cultures populaires, culture orale) La séparation des
savoirs à ce niveau-là n'est pas suffisante car les sciences de l'éducation,
les sciences humaines, le cas particulier de la médecine et de la psychiatrie
font jouer des mécanismes très sensibles dans les socio-cultures nu elles ont
été récemment importées. Nous verrons que seules les sciences pures sont
importables sans conditions dans le monde de l'islam et que les autres
peuvent être irrecevables L'autre
concept-clé, celui de la mondialisation et de ce fait de la créolisation,
devrait permettre de penser qu'il y a -ou aura- mondialisation et
créolisation du savoir et donc des SAVOIRS. Or
l'abord que l'on peut qualifier d'anthropologie à vocation humaniste, profondément
convaincue de l'égalité des ethnies, des cultures, effaçant le degré
d'avancement socio-eco-politique entre les peuples, vocation d'ailleurs
nécessaire à une déontologie de la recherche, cet abord donc, parait
scotomiser les attitudes réactionnelles des mondes qui n'ont pas accès à la
création idéique, scientifique et intellectuelle propre à émerger sur la
SCENE INTERNATIONALE DU SAVOIR. Cette scène est occupée par deux
protagonistes: 1-
l'occident au fait des
sciences et des techniques (et tous les territoires d'héritage occidental
« blanc », à savoir l'Afrique du Sud, l'Australie ... ) 2-
le reste du monde
(ex-bloc soviétique, Asie, Afrique et Amérique latine..), disparate et
complexe. Si nous prenons comme objet d'étude le monde dans lequel nous sommes
immergés, le monde de l'islam et non le monde musulman, terme réducteur, nous
nous rendons compte de deux catégories de phénomènes émergents en son sein: 1.
une position de
revendication d'une singularité spécifique à la Umma (littéralement la «
Matrie ») mu- sulmane, singularité très complexe. 2.
une contestation de tout
ce qui vient de l'occident et de tout ce dont l'occident est vecteur
(sciences, techniques niais surtout modes de vie, coutumes, pensée pure,
condition des femmes, créations artistiques, conceptions et attitudes devant
l'amour, la vie et la mort ... valeurs philosophiques, esthétiques,
eschatologie, métaphysique .... etc.) Pour ne pas se
perdre dans des discours aléatoires et parce que le problème de l'islamisme
reste entièrement posé, il faut poser deux catégories de faits: 1-
le refus de la
mondialisation par les musulmans fondamentalistes, courants très puissants
qui balaient de fond en comble le monde de l'islam. 2-
l'impact des nouvelles
orientations de recherche sur la psychiatrie culturelle dans la même sphère
islamique. Avant tout il
faut préciser que les idées de l'école actuelle d'anthropologie
nord-américaine sont empreintes d'un respect total de toutes les cultures, ce
qui anéantit enfin les thèses racistes de l'école d'Alger avec A. Porot et
celles de Carothers en Afrique Noire qui avaient conclu tous à l'infériorité
des races arabes et noires quant au fonctionnement cérébral des « indigènes »
qui utilisaient peu ou pas du tout leur cortex cérébral noble et donc les
fonctions supérieures cérébrales. Ces allégations scandalisent toujours et
très violemment les psychiatres et très rares anthropologues du Maghreb qui
n'ont pas dépassé la blessure narcissique qu'ils portent encore en eux, comme
si le fait de savoir n'avait pas guéri en eux leur appréhension douloureuse
du fait colonial. (Ces thèses refleurissent dans un livre récent paru aux
U.S.A. et qui a divisé l'opinion américaine sur l'intelligence moindre des
Noirs américains.) Les psychiatres
maghrébins savent « tout »: ce qu'est un cortex cérébral, comment il
fonctionne, pourquoi il est absurde qu'Arabes et Noirs soient impuissants à
s'en servir.... mais ils ne savent pas pourquoi il faut absolument dépasser
le problème de leur douleur à évoquer la question. Or cela est absolument
nécessaire pour comprendre d'une part pourquoi des scientifiques comme Porot
ou Carothers ont conclu à de pareils axiomes et pour réaliser enfin pourquoi
la colonisation a eu lieu, pourquoi elle a dû fnùr et pourquoi il faut
avancer avec la matrice socioculturelle quelle a laissée en place en se
retirant: c'est une forme de créolisation vécue non pas comme une greffe mais
comme un cancer.
Cela étant posé et l'anthropologie pouvant rallier les scientifiques
non suspects de racisme ou de désirs hégémoniques sous couvert de la science,
reste à résoudre la signification de cette envolée islamique extraordinaire.
Peut-on lui appliquer le principe de la mondialisation de tous les systèmes? En
bref. Le monde de l'islam est au premier rang actuel de la contestation de
l'ordre non- musulman. Si l'on se réfère aux thèses racistes précitées, on
n'aura aucun mai à admettre cette tendance réactionnelle à un passé récent,
douloureux et humiliant pour les musulmans avec d'autres vexations historiques
comme celle d'avoir été colonisés par d'autres musulmans à l'époque de la
Sublime Porte turque... Si l'on rentre
davantage dans la problématique on se rendra compte que des mouvements
extrêmement profonds agitent sans arrêt le monde de l'islam depuis plus d'un
siècle et qui sont ignorés en occident
vu l'hermétisme existant entre occidentaux et (musulmans) orientaux
depuis le contentieux gravissime des Croisades en particulier. Ces mouvements
et ces courants recherchent un type d'existence, de pensée et de morale
authentiquement musulman, non encore réalisé aux yeux des fondamentalistes
depuis les premiers temps de l'islam empreints de la pureté des origines et
dépravé par le cours de l'histoire du peuple musulman. Déjà en 1978,
Hélène Carrère d'Encausse prévoyait la chute de l'U.R.S.S. à travers un livre
fondamental, « L'empire éclaté »: son argumentation s'étayait sur les stades
différents des Républiques Soviétiques d'Asie Centrale par rapport à l'état
d'avancement « humain » des autres régions du gigantesque empire soviétique.
Ouzbékistan, Tadjikistan, Kazakhstan, Kirghizistan, Turkménistan avaient
gardé non seulement une empreinte islamique très forte niais de plus tout y
était en place pour l'implosion de l'U.R. S.S. et les conditions de l'implosion
étaient anthropologiques: 1-
les caractères religieux
avaient résisté à la « soviétisation », c'est-à-dire l'imposition de la
laïcité et l' interdiction de tous les cultes religieux. 2-
la condition des femmes
était revenue aux stades antérieurs, dévoilées de force lors de grandes
cérémonies de type stalinien, elles se remettaient aux coutumes ancestrales
dès qu'une foie du régime le permettait 3-
la structure familiale
patriarcale, agnatique, patrilinéaire s'était recomposé (ou n'avait disparu
qu'en surface.) 4-
la fécondité des femmes y
était exceptionnelle et le taux de natalité y dépassait toutes les autres
régions soviétiques, ce qui, à terme, allait changer les rapports entre les
proportions musulmanes et non musulmanes. On voit d'ailleurs par les guerres
serbo-croato-bosniaques que l'appartenance religieuse musulmane est restée
prévalente dans l'ex-Yougoslavie et la Tchétchénie démontre que son adhésion
au bloc ex-communiste était fictive si l'on en croit à la violence déchaînée
entre les deux pays. La cohérence
organique du monde de l'islam est telle que la Turquie laïcisée de façon
drastique par Mustapha Kémal, dit Ata-Turk, le père des Turcs, au début de ce
siècle après l'écroulement de l'empire de la Sublime Porte, la destitution du
Sultan, le démantèlement des harems, le renoncement aux caractères arabes
pour l'écriture latine, etc. est actuellement en proie à la revendication
islamique orthodoxe qui oppose les tendances au sein même de l'islam turc. Les mêmes
phénomènes ont amené la faillite du Chah, le dernier des Pahlavi en Iran, et
son départ en exil en janvier 1979 après des tentatives forcenées de «
modernisation » de son pays. Entre autres revendications violentes contre les
idées du Chah il faut relever la répugnance absolue des Iraniens pour leur
passé aryen et perse antique que le monarque avait revalorisé dans l'histoire
prestigieuse de la Perse. On retrouve ce
scotome historique chez les Arabes aussi (évidemment les perses ne sont pas
arabes de même que les turcs ... ) puisqu'ils appellent « El Jahhiliyya »,
l'ère de la sauvagerie, de l'ignorance, littéralement traduit, toute
l'histoire arabe antéislamique. C'est un fait troublant qui n'a jamais été
analysé par l'histoire anthropologique. Cela se passe comme si les européens
stigmatisaient leur héritage gréco-romain par exemple puisqu'il comprenait un
polythéisme très éloigné du monothéisme chrétien. Or la pensée platonicienne
ou aristotélicienne est revendiquée comme une fierté par l'occident alors que
le monde de l'islam ne se prévaut pas des multitudes de civilisations
antéislamiques si l'on parcourt rapidement le monde du Détroit de Gibraltar
au Mindanao philippin musulman avec toutes les entités noires d'Afrique et
les latitudes asiatiques plus au nord. C'est ainsi qu'en Chine les
musulmans résistent malgré le maoïsme et l'ère communiste à l'intégration
dans le reste de la population chinoise comme ce fut le cas en U.R.S.S. Ces phénomènes de
résistances se structurent très fortement autour de l'identité féminine qui
reste le canevas réel de la société musulmane tant la typologie des rôles et
des statuts féminins est constante depuis quinze siècles. Même dans le monde
de l'islam asiatique et noir, une revendication religieuse, politique et sociale
d'un islam fort et utile à tous ses membres est très perceptible. Cette
analogie est transposable aussi dans cet islam à visage nouveau, celui des
Black Muslims nord-américains qui ont récupéré cette religion à des fins
révolutionnaires au sein de la société la plus développée du monde. Toute cette mouvance
est devenue encore plus tangible grâce aux progrès techniques occidentaux qui
ont permis une communication infiniment plus facile et permanente dans le
monde musulman. Le penseur e? politique musulman Mohamed lqbal a canalisé la
force de la Umma du gigantesque empire indien jusqu'à la partition du
Pakistan puis au démembrement du Bengla-Desh à partir de ce dernier. C'est dans le contexte
islamique asiatico-indien qu'ont émergé les personnalités de Salumn Rushdie
et de Taslima Nasreen. Tous deux musulmans de naissance ils sont l'homme et
la femme par qui le scandale arrive. Ils sont surtout des révélateurs de
l'état d'esprit du monde actuel de l'islam. Les déclarations de
foi de T.Nasreen sont totalement insupportables pour tout musulman dans le
monde car elles violent les règles religieuses et anthropologiques qui
constituent le socle même de l'islam depuis les origines et font tomber les
tabous qui sont les clés de voûte de tout l'édifice islamique: 1-
elle s'est départie de la
réserve exigée de toute musulmane digne de ce nom. 2-
elle a osé critiquer le
groupe, violation redoutable d'un tabou puisque chez les musulmans,
l'individu n'est qu'un élément de la Umma , le groupement humain musulman
universel dont la plus pure expression symbolique est le pèlerinage annuel de
la Mecque, phénomène unique par son importance et ses significations. 3-
elle conteste l'ordre
sexuel de la société et refus le mariage, attitude abhorrée puisqu'un musulman
« ne complète sa religion » que lorsqu'il se marie; elle refuse en plus la
maternité, première fonction de la femme musulmane. 4-
elle ose un crime, le
plus radical de tous les crimes qu'un être humain musulman puisse accomplir:
être athée, le dire et le vivre. A ce titre
Taslima Nasreen est allée beaucoup plus loin que Salman Rushdie qui s'est
rétracté et a voulu ainsi renier son état d'apostasie. Ces digressions nous
signalent simplement que l'aile musulmane méditerranéenne et de la Péninsule
arabique est beaucoup plus rigoriste et qu'en son sein ces deux écrivains
n'auraient jamais pu exister. Ces
considérations au sujet du monde de l'islam ne sont qu'une infinie partie de
tout ce qu'il représente et est anthropologiquement mais ces esquisses
permettent de comprendre que les notions de mondialisation et de créolisation
de Bibeau, les présupposés de Hannertz: « ... Cultural interconnections
increasingly reach across the world. More than ever, there is a global
ecumene. », ceux de Weaver etc., ne
sont pas adéquats pour le monde de l'islam. Je m'explique. Si effectivement
la terre est devenue un « village », ou une « maison commune »,cela ne «
marche » pas pm le monde de l'islam on plutôt si: les nouveaux concepts
anthropologiques sont les outils qui permettent de comprendre TOUS les
phénomènes soumis à l'étude et à l'observation mais dans un SCHISME MUSULMAN
non prévu on non pressenti par les anthropologues qui lui sont extérieurs; en
d'autres termes, il y a un refus violent de la mondialisation et. de la
créolisation dans le monde de l'islam par rapport à TOUT ce qui lui est
étranger dans l'essence de la religion islamique qui porte en elle tous les
codes sociaux, juridiques, politiques, moraux etc. ... dont cette entité
humaine à définition uniquement religieuse a besoin. Plus que cela les
intégristes les plus convaincus pensent que toute la science du monde est
dans le Texte Suprême, le Coran, avec preuve à l'appui Cependant tous les
schémas de réflexion de Bibeau, de Hannerz, de Weaver, de Taylor deviennent
valables à l'intérieur du monde de l'islam et pour lui- même grâce à des
possibilités qu'il ne possédait pas jusqu'au vingtième siècle, c'est-à-dire
les télécommunications, l'aéronautique, les satellites et autoroutes de la
communication, l'alphabétisation massive, la médecine moderne, les
expériences modernes de gestion et d'organisation ... ! La mondialisation de
la médecine moderne, par exemple, a très considérablement changé le visage
médical du monde musulman (voir références bibliographiques ). L'hygiène,
la vaccination, l'accouchement médicalement assisté, les soins pédiatriques
ont réduit la mortinatalité, la mortalité maternelle, la mortalité infantile
et ont agi sur la longévité humaine sans conteste. En 1978,18000 femmes sont
mortes en couches au Pakistan ( Dawn, journal quotidien de Karachi, du
25.12.1978). C'est pourquoi on réunissait la All Pakistan Tibbi Conférence
qui devait promouvoir le système Tibbi, mot dont l'origine est la racine
arabe TIB signifie médecine, c'est-à-dire la médecine traditionnelle et créer
un « Institut national de recherches sur la médecine traditionnelle » et
ainsi permettre une couverture de soins totale de toute la population, ce qui
laisse supposer deux choses: soit que la couverture moderne était
insuffisante, soit qu'une partie de la population n'avait recours qu'à la
médecine traditionnelle, faute de moyens ou par choix et par conviction.
D'ailleurs l'O.M.S. a tenté dans le monde en voie de développement de «
recycler » les matrones, les arracheurs de dents, les sorciers ou exorcistes
traditionnels pour « traiter » les malades mentaux, les rebouteux etc.
démarche à analyser de façon plus sérieuse quant aux résultats obtenus. Reste
à démontrer dans ces énormes groupements humains l'origine réelle de la
révolution démographique, hygiénique, sanitaire. Les deux systèmes médecine
moderne/ médecine traditionnelle ne se sont pas fusionnés ou harmonisés ou «
créolisés ». Ils sont en constante dys-continuité, historique, culturelle,
scientifique, socio-économico-politique dans le monde de l'islam.. On ne peut
nier les apports incalculables de la médecine moderne (ou occidentale?) sur
le visage médical du monde musulman. Coexistent actuellement des médecins
musulmans « modernes » et traditionnels et dans ceux qui sont modernes une
frange vent islamiser la modernité: on ne consulte pas les femmes le
vendredi, les gynécologues doivent être des femmes, le jeune du Ramadan est
permis quelque soit la pathologie etc. Mais avant
de revenir sur le problème purement médical ou plutôt de psychiatrie
culturelle il faut comprendre l'origine de l'opposition Tradition./Modernité
qui est un problème majeur pour le monde musulman. Pour ma part je pense que
c'est là le problème essentiel qui travaille cette aire humaine, tout le
reste n'étant que des préoccupations annexes. Cette hypothèse est trop vaste
pour être résolue par une personne. Mais il faut essayer de comprendre. Cette
opposition prend ses racines inconscientes dans la haine nourrie au cours des
siècles par deux communautés religieuses qui se sont réellement affrontées
lors des guerres des Croisades et qui, depuis, n'ont pas pu par le fait de
l'histoire dépasser ce différend. La modernité vient de l'occident/monde
chrétien et à ce litre elle est objet de phobies et de contestations
diverses. Le fait est si ancien que la langue française contient une
interjection lourde de sens qui provient de la nuit des temps. On dit pour
une démarche épuisante ou qui sera suivie d'échec: « c'est la croix et la
bannière », signes symboliques sous lesquels se menaient les batailles
pendant les Croisades entre chrétiens sous la croix et musulmans sous la
bannière... Cette haine a été attisée par des moments très aigus: la chute de
l'empire musulman d'Espagne est un bon exemple de moments historiques ou des
pans entiers de l'histoire humaine s'écrivirent dans des violences et des
actes dommageables pour tous. L'Empire de
Grenade, dernier royaume nasride de L'Espagne musulmane s'effondra le 2
Janvier 1492. « La disparition du dernier Etat musulman d'Europe Occidentale
non seulement bouleversait l'équilibre politique du monde méditerranéen mais
encore mettait en péril le sort des populations minoritaires et la
transmission d'un savoir extrêmement riche. » (B.Vincent, cf réf biblio.) L'observation de
l'époque et son étude sont extraordinaires d'enseignements mais elle est trop
complexe pour ce propos. Cependant: « En 150 1, ordre fut donné de brûler, dans
le royaume de Grenade, tous les Corans, tous les livres ayant un lien avec
l'islam. SEULS ETAIENT EPARGNES LES LIVRES DE MEDECINE ET DE PFUOSOPHOE...
Dix ans plus tard, nouvelle chasse aux ouvrages, sans exception cette fois
pour pouvoir les expurger ... Tout fut fait, y compris en recourant à
l'inquisition, pour empêcher l'exercice de la médecine par les morisques. Le
résultat fut la dégradation d'une science médicale qui, au fil des ans,
sombra dans un banal charlatanisme... » (B. Vincent, id.). Ces événements
sont au centre de cette démonstration: 1-
notion de xénophobie 2-
antagonisme religieux
ayant incidence sur d'autres domaines non religieux 3-
état médical des
populations concernées par la xénophobie et les antagonismes religieux et
politiques. Donc les peuples
et l'homme conçoivent, consomment et vivent leurs problèmes philosophiques et
psychologiques en fonction de leurs époques, de leurs croyances et de leur
culture ancestrale. Les musulmans d'Espagne qui avaient été le relais grâce à
l'éclat très particulier de la médecine arabe avec la médecine grecque,
romaine, indienne et persane disposaient d'une médecine de pointe pour
l'époque qui devint inacceptable par les chrétiens pour des raisons
politico-religieuses, phénomène vécu actuellement par les musulmans pour des
raisons symétriques et inversées malgré le temps passé...et l'époque que nous
vivons. Mais dans
le cas envisagé de l'Espagne andalouse à la médecine très brillante (comme
dans le reste du monde arabo-musulman de l'époque ou antérieurement avec Avicenne,
Averroës, Ibn Omrane, Maïmonide, AI Kindy, AI Khawarizmi.. (.cf. « Une
psychiatrie moderne pour le Maghreb », notes biblio.), le refus,
l'anéantissement des Arabes passait par des autodafés gigantesques qui ont
effacé un énorme savoir dans la vague de haine qui refuse l'Autre comme
insupportable dans toutes ses dimensions, religieuses, éthiques,
scientifiques, culturelles, etc.. Cette démonstration si nouvelle de Bernard
Vincent sur la destruction du patrimoine scientifique et humain « mudéjare »
est exemplaire de ce qui se pourrait démontrer dans ces propos. Les musulmans
ont-ils la même approche que lui et peuvent-ils démontrer ce qui les affecte
de la même manière? Quoique qu'il en
soit, Yvonne Turin (cf. notes biblio.) l'a également démontré en Algérie à
travers « les affrontements culturels », refusant toutes les formes de soins
et d'instruction pendant la colonisation française qui a duré cent trente ans
et n'a pas obtenu l'adhésion à la culture française, loin s'en faut si on
considère l'état d'islamisation actuel de ce peuple et sa si importante
revendication religieuse; certains s'accordent à dire que c'est parce que
l'Algérie a été laminée par la colonisation à un point tel qu'il ne lui est
plus possible que d'essayer de se reconstituer un visage arabo-musulman à
travers la tourmente qu'elle vit actuellement. Les colonisés refusaient au
Maghreb la médecine moderne comme une entité du savoir et de la science aux
mains de ceux que l'on refusait de toutes ses forces et désespérément. Et
même quand le refus s'atténue ou n'existe plus que dans certaines strates
sociales, les attitudes et comportements venus du fond des âges resurgissent
comme les coulées de lave des volcans arrivent avec des matériaux du centre
de la terre quand se produit un tremblement de terre important. C'est ce à
quoi on assiste aujourd'hui dans le monde musulman dans différents domaines
et également dans ceux de la médecine avec toutefois une nuance, le rejet est
moindre pour la médecine physique que pour la médecine psychique. Tout se passe
comme si les greffons dans une société donnée sont inopérants et ne prennent
pas car la culture ancienne nu traditionnelle réagit sans arrêt pour repousser
ce qui est nouveau ou étranger. Cela persiste malgré parfois des siècles d'évolution;
certains historiens ou philosophes des religions avancent même la théorie
d'un recul des sens et des symboles religieux vers un « purisme » ou une
orthodoxie qui n'ont même pas été ceux des moments fondateurs, et ce en
réaction contre un matérialisme qui envahit toute chose et semble dominer ce
siècle en particulier.... C'est ainsi par exemple que le domaine médical et psychiatrique se
retrouve constamment sous l'emprise du religieux et cela grâce à deux
catégories de faits: 1-
la médecine est fille de
la magie et se nourrissait de religieux puisque la vie, la santé et la
maladie et la mort sont au regard des musulmans un don et une décision de
Dieu et donc une destinée inéluctable. C'est Dieu qui décide de la mort et
toute tentative pour allonger la durée de vie est une velléité humaine. C'est
la volonté divine qui crée une maladie ou qui apporte la guérison: pourquoi
alors l'être humain devrait-il intervenir dans ces phénomènes? Dans le
meilleur des cas, le médecin n'est que le médiateur à qui Dieu a permis de
soigner ou de guérir grâce à Sa Volonté Divine. C'est pour cela que les
Saints et les guérisseurs sont « aussi » efficaces symboliquement que les
médecins ou les psychiatres. 2-
la médecine et la
psychiatrie sont dans leur acceptation occidentale des greffons transférés
dans le monde de l'islam. Elles ont tellement à voir avec l'intime, le
sexuel, l'horrifique, l'angoisse, la notion de mort qu'elles dérangent la
structure socioculturelle traditionnelle qui endigue et donne les réponses à
toutes les préoccupations concernant l'intime, le sexuel, l'horrifique,
l'angoisse et la notion de mort dans toutes ses implications, la sienne et
celle des autres, la pudeur, le vécu du corps et la sphère
instinctivo-affective et intellectuelle. Ainsi une femme musulmane dans
certains pays ne peut être soignée par un médecin homme gynécologue
obstétricien, même au péril de sa vie; il est inadmissible qu'une femme soit
vue à ce degré d'intimité, de viol de la pudeur, dans la sphère sexuelle
sacrée de la femme qui n'appartient qu'à un seul hom- me (« Honn », le sacré,
l'inviolable est par dérivé le met épouse, en arabe ) ...
Si on investit le domaine de la psychiatrie culturelle, la
problématique devient telle que, par le REFUS de l'Autre, il y a des réponses
culturelles à la maladie psychique qui font faire l'économie de la nécessité
de la psychiatrie de type occidental. Il existe en fait des réponses, les
attitudes traditionnelles des soins et des explications de la folie et des
désordres psychiques, dans une conception magico religieuse qui s'est
élaborée au cours des siècles avec tout l'héritage des peuples préislamiques
que l'on décèle à travers des rites plus ou moins païens, certains symboles
et croyances. La mondialisation de la médecine moderne ne fonctionne pas dans
le domaine évoqué: on n'achète pas de la psychiatrie comme on peut acquérir
un scanner ou un appareil quelconque d'enregistrement cardiographique ou
encéphalographique ou autre. Ce n'est pas un « Sony » que l'on peut rapporter
comme les marchandise du bazar mondial dont parlait V.S.Naipaul dans la
phrase citée en exergue au début de cet article. Si un appareil équivaut à un
autre, toutes les techniques sont mondialisables et créolisables dans leur
utilisations locales mais les sciences et le savoir ne le sont pas forcément.
«
La médecine comme tous les autres métiers n'est pas seulement soumise à
certaines valeurs idéologiques et morales, elle est utilisée pour les
préserver... ». / Docteur
Naoual Saadaoui.
Cette femme remarquable (cf. notes biblio.), médecin psychiatre
égyptienne, emprisonnée pour délits d'opinion dénonce ce qui est intolérable
pour elle dans la société arabe. L'un de ses écrits majeurs analyse la
souffrance féminine comme inscrite dans le fonctionnement social même qui ne
doit pas varier et fait porter le poids aux femmes qui n'ont aucun autre
recours que la maladie psychique pour dire leur douleur intolérable dans le
cas ou elles sont fragiles ou quand elles contestent le sort qui leur est
imparti de toute éternité. N.Saadaoui est féministe, première chose
intolérable car le féminisme est une importation occidentale. Elle récuse les
mutilations sexuelles féminines, deuxième aberration de la part d'une femme.
Elle est un médecin et un psychiatre formée à la science moderne, démarche
irrecevable de la part d'une femme en plus: elle ne se contente pas de «
bricoler » localement avec son savoir, ce qu'on lui permettrait à la limite
de faire. Son essai est en fait une utilisation de la psychiatrie à des fins
d'analyse et de description de la condition des femmes. Elle a pris ce droit
de parler autour des expériences douloureuses des autres femmes,
particulièrement mentalement inaptes et exclues socialement, seize portraits
de malades et trois de femmes emprisonnées. Or si la situation des femmes
arabes est la plus intolérable au monde objectivement, l'essai de Saadaoui
basé sur une enquête sérieuse et approfondie et des interprétations qui,
elles, restent à analyser, cet essai, donc est une dérive de sens à partir
des outils occidentaux. C'est pour cela que le retour à une cosmogonie
musulmane globalisante barre la route à de tels dérapages, insupportables
dans leur nouveauté. Les cultures
locales ont des diktats très contraignants à travers lesquels on ne peut
passer outre. Les sociétés importatrices de « savoir » n'admettent pas ce qui
a trait à l'individu, à la notion de liberté, (philosophique), d'hédonisme,
(sexualité), à l'expérience de la gestion publique des peuples, (notion
politique de personnes représentant toutes les autres qui prennent les
décisions.)
Les sciences comme la paléontologie, l'évolutionnisme darwinien des
espèces, le freudisme, sont irrecevables car elles vont à l'opposé des
conceptions et attitudes locales en fait de genèse, d'évolution et de gestion
des peuples arabo-musulmans. L'anthropo-paléontologie prévoit que l'homme est
une évolution- mutation à partir des branches et des espèces de primates avec
des moments très précis dans la progression de l'adresse et de l'intelligence
humaines. Cela est antinomique avec la conception religieuse de l'homme qui
est divine et sacrée. Le freudisme est
suspect d'athéisme mais de surcroît il favorise l'individualisme qui est, à
n'en pas douter, le phénomène-clé de la structuration moderne et post-moderne
des sociétés. Cela est en contradiction pure et simple avec la famille
arabo-musulmane très nombreuse, grégaire et soudée; la notion de groupes, de
clans, de tribus (les Arabes étaient les Bani ...... fils de..., suivi du nom de tribu, de lignage, de
père, dans la désinence absolue de l'ordre masculin), régissait le destin
même de l'être humain, lui-même un élément diffus d'un tout qui est
surinvesti par lui comme essentiel: la Umma ou « matrie » qui devient un sens
cosmique lors du pèlerinage annuel à la Mecque ou trois ou quatre "lions
de musulmans se dissolvent abandonnant leurs origines, leurs races et leurs
schismes pour n'être plus qu'une même et seule aspiration vers le Dieu, unique,
en soumission totale (El Islam, l'Islam signifie littéralement: la soumission
totale à Dieu) La
psychiatrie culturelle dans le contexte musulman devient alors et du fait de
tout ce qui a été précédemment démontré une création encore à faire dans le
domaine large du Savoir avec les outils que permettra la religion. Seront
admis et utilisés les critères médicaux, génétiques, biologiques et même
sémiologiques et psychopharmaco-thérapeutiques. Seront écartés tous les
éclairages anthropologiques, psychanalytiques et sociologiques qui seraient
en opposition avec l'orthodoxie musulmane qui régit absolument tout ce qui
concerne l'être humain musulman. Il faut avoir expérimenté les théories
culturelles de la psychiatrie et leur validité pour prendre la mesure de ce
qui constitue l'un des phénomènes les plus imprévus et les plus
extraordinaires de la fin du vingtième siècle, à savoir la revendication
musulmane d'une science autre que celle qui prévaut dans l'ensemble du monde
pour servir les membres de la communauté islamique mondiale.
Ce qui est encore plus difficile à gérer reste l'implication d'un
grand nombre de penseurs et de savants musulmans dans les processus modernes
avec une pensée de type résolument moderne. Tout se passe comme si il
existait des musulmans traditionnels, modernes et ceux qui cherchent entre
les deux possibilités. Les savants et les penseurs sont dans le même cas
étant entendu que né musulman, un être humain se définit d'abord par sa
qualité de musulman qu'il ne perd jamais. Les penseurs musulmans modernes ne
peuvent être modernes ou post-modernes que dans le « licite » musulman. Dès
que leur pensée sort de cet état de fait, ils sont en état d'apostasie. Ainsi si l'on
prétend que dépassée la superficialité ethnique et culturelle, l'organisation
humaine de l'inconscient est universelle, il faudra prouver que rien dans
l'universalité de l'inconscient n'est en désaccord avec les préceptes
religieux. En d'autres termes, le complexe de l'Oedipe dans les stades de
l'évolution psychologique infantile, ne saurait être pris comme un postulat:
qu'est-ce que cet enfant surpris de haine pour son parent homologue et séduit
par son parent hétérologue? Les parents sont de l'ordre de la sacralité et il
est donc impensable que les fantasmes comme les puisions contreviennent à
l'ordre implacable de l'univers cosmogonique islamique. Ces exemples ne sont
qu'un détour pour prouver que le monde musulman entre dans une ère dévolution
imprévisible que les penseurs occidentaux auront beaucoup de mai à percer. Ce
seront les penseurs musulmans « hybrides » qui auront à résoudre toutes ces
inconnues, hybrides dans leurs savoirs, dans l'utilisation de leurs
connaissances et dans leurs bipolarités traditionnelles et modernes. Les
psychiatres sont dans le même cas ou pire ils sont à l'interconnexion entre
le psychisme et le savoir, ce qui en fait l'avant-garde de toute la société
islamique. Elle a besoin de ses Freud et de ses Lévi-Straus qui
n'apparaissent pas encore comme Ibn Khaldoun en son temps. Il faudrait une
étude anthropologique du « Savoir » pour avancer dans toutes ces « Terrae
Incognitae ». Je retiens la conclusion de G.Bibeau qui va exactement dans le
sens de ce questionnement angoissé sur l'avenir du monde de l'Islam: « nous
avons abordé une période d'incertitude et d'ambiguïté qui place la
psychiatrie culturelle et l'anthropologie médicale comme de possibles
sciences subversives... ». On peut l'entendre comme des sciences possiblement
subversives, ce qui a été démontré au moins un peu dans les propos
précédents. Il faut cependant garder présents à l'esprit que ce que Biseau
appelle « une stratégie cachée désespérée de l'impérialisme occidental qui
combat avec de vieilles et nouvelles armes pour maintenir sa souveraineté sur
le monde entier.. » peut être reprise à l'extérieur de ce monde occidental
pour servir d'autres fins tout aussi subversives. La solution n'est-elle pas
justement dans une approche anthropologique de l'être humain enfin
universaliste et globalisante? Il n'y a
pas si longtemps le balancement dans la psychiatrie culturelle consistait à
rétablir l'équilibre en permanence entre le social et le psychologique pour
une compréhension meilleure de toutes les problématiques. Aujourd'hui la
réalité des socio cultures permet de considérer le monde en situation d'égalitarisme,
ce qui évitera de diviser et de cliver les groupements et les êtres humains
pour les comprendre et les aider, comprendre est de l'ordre du savoir, y
compris celui de la psychiatrie culturelle, et aider est de l'ordre de
traiter, but ultime de tout savoir y compris les sciences du psychisme. Le
savoir doit évidemment devenir plus équitable entre toutes les socio cultures
du monde. Actuellement le principe des discontinuités anthropologiques
interdit cette approche dont on ne pourra faire l'économie à long terme. Le
préfixe de « dys » souligne que les sociétés et cultures humaines ne
fonctionnent encore ni en synergie ni en harmonie et c' est là toute la
complexité du problème et de la psychiatrie culturelle. |
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